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FORMATION Apprendre à produire autrement : l'enseignement agricole relève le défi

La rencontre avec un chef d'entreprise ou un responsable de production, ici Hans Keller, installé en Allemagne, permet aux formateurs comme aux apprenants de mieux comprendre la complexité de la filière, d'appréhender l'entreprise en ayant une vision plus large dans un contexte spécifique.

Les établissements qui préparent les horticulteurs et les paysagistes d'aujourd'hui et de demain se remettent en question. L'apprentissage des savoirs et savoir-faire n'est plus uniquement basé sur des références figées. Il s'agit bien davantage d'analyser les situations en conditions réelles au contact des professionnels. Mais comment s'y prendre ?

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Le concept d'enseigner à « produire autrement » est encore en pleine construction, avec des recherches de nouvelles pistes d'action, de nouvelles idées, de pratiques à confirmer ou à faire évoluer. Les enjeux et perspectives sont multiples. Les enseignants s'en saisissent collectivement pour poursuivre leurs missions. Pour les y aider, plusieurs approches pédagogiques ont été abordées lors des cinquièmes rencontres du réseau de formateurs Hortipaysage, en février dernier en Alsace : Comment travailler en pluridisciplinarité entre les différentes matières mais aussi entre les différentes filières au sein d'un établissement ? Comment rendre l'élève acteur de ce qu'il va apprendre en s'appuyant sur des situations et problématiques concrètes ? Comment mieux et davantage s'appuyer sur les professionnels en les invitant à intervenir directement dans les établissements, ou en allant à leur rencontre dans leur entreprise lors de visites, en complément des stages habituels

Mener un travail pluridisciplinaire

RÉFLEXIONS ET RECHERCHES DE SOLUTIONS

Cette pédagogie est élaborée autour d'une mise en situation concrète avec recherche puis mise en oeuvre de solutions viables, avec une analyse et une évaluation des résultats. La problématique du désherbage d'une zone non cultivée en espaces verts a été l'exemple discuté lors des rencontres Hortipaysage. Le choix de surfaces stabilisées ou pavées, avec un objectif de zéro phyto, a confirmé l'importance d'une approche globale et pluridisciplinaire.

Dans ce cas, la première étape vise à établir un diagnostic de l'usage des lieux et des pratiques antérieures. Il s'agit d'amener les élèves à réfléchir sur la gestion des espaces et l'utilisation des produits phytosanitaires en analysant le problème du point de vue de la triple performance : économique, écologique et sociale. Avec des questions à se poser de type : Qui fréquente ces espaces verts ? Quel est le niveau d'exigence (espace vitrine, espace extensif) ? Quelles quantités de produits phytosanitaires pulvérisées chaque année ? Quel est le bilan des coûts d'utilisation ? Quelles sont les conséquences constatées ou supposées sur le milieu ? Quelle est l'exposition des utilisateurs ? Que pensent le gestionnaire et les usagers de l'emploi des produits phyto ? Leur vision a-t-elle évolué ?...

Il est également pertinent de répertorier quelles solutions alternatives ont déjà été testées sur le site et de mentionner les résultats esthétiques, les coûts, les réactions des usagers... Au final, se pose la problématique de savoir si on décide ou non d'utiliser des produits chimiques et quelles en sont les conséquences sur le site ?

Le premier constat général mis en avant dans les échanges entre participants fait apparaître que les apprenants ont encore d'énormes difficultés à apprécier et à concevoir un espace avec des adventices. Comment leur faire accepter l'herbe dans les espaces verts ? L'approche pluridisciplinaire semble être la plus pertinente. Il ne s'agit pas seulement d'une démarche agronomique, en étudiant l'impact des produits sur le milieu, ni d'une réduction à la seule notion de coût. Un cheminement plus général est nécessaire : acceptation d'un niveau d'enherbement, notion de naturalité, idée plus large du paysage. La vision du jardinier n'est pas la même que celle du peintre ou celle du photographe, ni - à une plus grande échelle - celle du géographe. L'interdisciplinarité prend ici tout son sens, notamment avec les matières générales : français, histoire-géographie, économie.

Il a également été intéressant de constater qu'au sein d'un même établissement, cette vision de l'espace est différente selon les filières. En gestion des milieux naturels et de la faune (GMNF), on accepte plus facilement l'herbe et on ne supporte pas les produits phytosanitaires alors que, à l'inverse, en filière « aménagement », on a plutôt tendance à ne tolérer aucune herbe. D'où la nécessité de croiser ces regards, de décloisonner les filières.

Ce travail de fond, mis en place en commun entre les enseignants et les apprenants des différentes classes, doit se poursuivre avec la recherche de pistes, sans avoir recours à la méthode passe-partout, chaque cas nécessitant souvent une gestion spécifique. Il est très important que ces réponses émanent des réflexions et des propositions des élèves qui doivent se sentir pleinement acteurs de ce projet. Ce travail doit aussi être mené avec les principaux intervenants : les entrepreneurs du paysage, les responsables de collectivités, les fournisseurs... L'objectif est de proposer une solution viable, adaptée à la situation précise et réalisable, d'où les débats indispensables avec les professionnels. Ces derniers sont très attentifs, notamment sur les notions de coûts.

Découvrir une entreprise

UNE VISION GLOBALE ET CONCRÈTE

Autre axe abordé lors des journées Hortipaysage : visiter une entreprise offre aux apprenants une vision beaucoup plus concrète, et souvent plus active, que plusieurs heures de cours en salle. Il ne s'agit pas d'un nouveau concept ; de nombreux enseignants organisent de longue date des déplacements in situ. Au cours de ces rencontres en Alsace, c'est davantage l'approche globale qui a été mise en avant, une visite devant s'inscrire pleinement dans le déroulement des formations. La parole du professionnel est complémentaire de celle des enseignants, d'autant qu'elle est perçue différemment par les élèves. La rencontre avec un chef d'entreprise ou un responsable de production permet aux jeunes de mieux comprendre la complexité de la filière, d'appréhender l'entreprise avec une vision beaucoup plus large. Car chaque décision prise par le dirigeant prend en compte de nombreux critères indissociables : des critères techniques et économiques, mais aussi et de plus en plus environnementaux et sociaux. Il s'agit également de mesurer que ces choix sont définis en fonction d'un contexte et d'opportunités propres à chaque établissement et, de ce fait, difficilement transposables.

Ainsi, les formateurs du réseau Hortipaysage se sont appuyés sur la visite des Ets horticoles Keller, situés à Malterdingen, en Allemagne, qui a représenté un déplacement particulièrement significatif. Cette entreprise, très ancrée dans son territoire, commercialise 50 % de sa production (géraniums, pensées, fuchsias, poinsettias...) en circuit court, en vente directe au sein de sa jardinerie. La maîtrise des coûts de production est le second axe majeur de la stratégie du chef d'entreprise : mécanisation et automatisation des tâches, organisation du travail, taux d'occupation des serres... Les impératifs économiques rejoignant les préoccupations environnementales (gestion des maladies, cultures basse température, chaufferie au bois...). Ce cas réel a permis d'insister sur le fait qu'il ne faut pas se limiter à aborder des notions techniques ou économiques sans tenir compte du contexte propre à la société et des effets environnementaux ou sociaux induits, afin d'apprendre aux élèves à mieux observer et à détecter ces aspects.

Se former à gérer et à manager

LE SAVOIR-FAIRE TECHNIQUE NE SUFFIT PAS

Le chef d'exploitation Hans Keller a fait remarquer que, bien que titulaire d'un Brevet de maîtrise, formation essentiellement technique, et ayant une solide expérience horticole en tant qu'employé, il ne connaissait pas grand-chose au monde de l'entreprise quand il a démarré son activité pour son propre compte en 1986. « Les fournisseurs voulaient être payés cash, et les clients grossistes imposaient leurs conditions, tant au niveau des prix que des délais de paiement. Pour moi, un dirigeant a moins besoin d'une formation technique que d'une solide formation en gestion et en management... » On l'oublie encore trop souvent ! Il a donc expliqué les étapes de son parcours et argumenté ses choix successifs. Les délais et les conditions de paiement imposés par les grossistes l'ont rapidement incité à développer la vente au détail, plus rémunératrice, et à attirer et satisfaire une clientèle de proximité, dont de nombreux clients alsaciens qui viennent profiter ici de prix plus attractifs qu'en France. La production - tournée au départ vers la plante en pot - s'est réorientée progressivement vers des plantes saisonnières : pélargoniums, pensées et poinsettias. Hans Keller a choisi un mode de commercialisation en circuit court et adapté le type de production et les quantités produites en fonction de ce choix. D'autres entreprises ont pu faire un choix inverse : rester sur la plante en pot, avec une vente en gros, mais avec d'autres conséquences (marges réduites, culture à grande échelle pour des coûts de production très bas).

Le mode de culture est également lié au contexte propre à l'entreprise. Il n'y a pas de fiche de culture type transposable partout, contrairement à ce qu'on pouvait enseigner autrefois. Au sein des Ets Keller, le pélargonium est cultivé selon deux itinéraires : une culture longue à basse température, dès le mois de novembre, et une culture courte à partir de février. Longue ou courte : les effets sont différents. En culture longue, les plantes commercialisées dès le mois d'avril nécessitent peu de chauffage. Les interventions en cours de production sont limitées au maximum : les boutures sont repiquées déjà distancées dans les plaques pour éviter tout desserrage ultérieur ; les pots de 10,5 cm sont régulièrement effeuillés à la base. Ces modes opératoires limitent par ailleurs la propagation des maladies. Tous ces critères peuvent être plus facilement intégrés dans les réflexions des jeunes lors d'une rencontre en situation. Sans cette vision concrète perçue sur le terrain, il est difficile pour les élèves d'appréhender la gestion et le management du personnel. Chez Keller, on explique comment chaque employé est responsable d'un travail (pincements, automatisation du rempotage...) avec un changement en cours de journée pour éviter la monotonie. Le patron sait toujours qui a fait quoi et à quel moment.

Les thèmes abordés lors d'une telle visite peuvent largement dépasser le simple cadre de l'entreprise et peuvent être à la base d'une réflexion plus ouverte dans le cours de la formation, comme la mondialisation et le bilan carbone. Car la multiplication des géraniums est délocalisée vers le Kenya ou l'Éthiopie, pays à faible coût de main-d'oeuvre et aux besoins en chauffage quasi nuls. Mais quid du transport par avion ? Par ailleurs, le choix d'énergies renouvelables a un réel impact économique : l'investissement dans une chaudière à bois revient à 23,50 euros/mégawatt/heure, contre 50 euros pour le fuel. Ce choix a parallèlement un impact environnemental : le remplacement d'une énergie fossile par une énergie renouvelable. Et un impact sociétal : l'approvisionnement local, le rôle des forêts... Faire le choix de produire autrement, c'est raisonner tous ces critères. C'est complexe mais concret si l'on aborde les sujets en se basant sur le cas d'une entreprise choisie pour l'ensemble de son contexte et de son environnement.

Parce qu'ils sont de futurs collaborateurs ou responsables, les apprenants doivent être au contact des entreprises tout au long de leur formation et pas seulement pendant les périodes de stage. Les professionnels doivent s'impliquer pleinement dans l'enseignement agricole, aux côtés des enseignants. De nouveaux rapports avec les élèves se mettent en place. Grâce aux nouvelles technologies, ces derniers ont directement accès aux connaissances et se sentent pleinement acteurs de leur formation.

Claude Thiery

Dans le cadre du management, l'entreprise Keller explique comment et pourquoi les employés sont, à tour de rôle, responsables d'un poste, avec un changement en cours de journée.

La maîtrise des coûts de production est le second axe majeur de la stratégie du chef d'entreprise. Elle passe, notamment, par la mécanisation et l'automatisation de certaines tâches, dont le rempotage.

Laisser des « mauvaises herbes » ne va pas encore de soi en espaces verts pour les élèves. La problématique du désherbage d'une zone non cultivée montre l'importance d'une approche globale, multifilière et pluridisciplinaire, pour confronter les points de vue, au cas par cas.

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